La légitimité des temps modernes
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Hans Blumenberg fut un philosophe et historien intellectuel allemand, considéré comme l'un des penseurs allemands les plus importants du XXe siècle. Son œuvre explore les métaphores et les idiomes linguistiques, qu'il considérait comme le chemin le plus proche de la vérité et le plus éloigné de l'idéologie. L'approche de Blumenberg, connue sous le nom de 'métaphorologie', étudie comment le langage et ses expressions courantes nous aident à appréhender le monde dans sa réalité la plus fondamentale.







"Dans les cavernes qui ont été ses premiers abris, l'homme dessine sur les parois les objets de son désir et de sa lutte pour la vie. Le concept surgit dans la vie d'êtres qui sont chasseurs et nomades. Sans doute peut-on montrer le plus clairement ce dont un concept est capable lorsque l'on songe à la fabrication d'un piège : il est en tous points conçu en fonction de l'aspect, des mesures, du comportement et de la démarche d'un objet qui est seulement espéré, qui n'est pas présent et qu'il faut d'abord amener à être capturé et appréhendé. Cet objet est à son tour lié à des besoins qui ne sont pas ceux du jour même, qui ont donc une dimension temporelle. Une théorie anthropologique du concept est un réquisit urgent, car elle seule permet de prendre en compte sur un mode fonctionnel aussi bien la performance d'un concept que son déficit face à des exigences qui ne procèdent pas d'une forme de vie nomade, mais présupposent le loisir du sédentarisme. Car l'état de choses étonnant est que, certes, le concept est un produit de la vie des chasseurs et des nomades, mais la théorie, qui semble le condensé de ce que permettent de réaliser les concepts, a pour condition la sédentarité urbaine et la division du travail. "
De 1985 à 1990, le philosophe Hans Blumenberg a fait paraître dans le feuilleton littéraire de la Frank/urter Allgemeine Zeitung une série de billets, d'une très grande ironie et magnifiquement ciselés, constituant le cour de ces Concepts en histoires qui s'ouvrent sur un souvenir d'enfance en forme de métaphore. Tout comme le motif apparaissait lentement sur le papier trempé au bain du révélateur, quand le jeune flans assistait son père, photographe amateur, le concept surgit des histoires et des anecdotes que Blumenberg glane au gré de ses déambulations dans le livre de la vie. Ces instantanés au quotidien, qui accompagnent une ouvre philosophique aussi exigeante qu'inclassable, en font ainsi l'un des tout premiers prosateurs du second XXe siècle allemand, aux côtés, par exemple, d'un W. G. Sebald, avec qui il partage, outre le goût pour les chambres noires, le sentiment que les mots ont une histoire à laquelle adhèrent inévitablement celle de leurs emplois les plus terrifiants par l'idéologie et la méthode méticuleuse de reconstruction d'une mémoire, face aux maquillages qui ont cherché à effacer, en Allemagne précisément, les traces nazies de cette histoire.
Une paradigmatique metaphorologique cherche a delimiter des champs a l'interieur desquels on peut supposer l'existence de metaphores absolues et a mettre a l'epreuve des criteres pour les reperer. Que ces metaphores soient appelees absolues signifie seulement qu'elles resistent a la pretention terminologique, qu'elles ne peuvent pas etre resorbees dans la conceptualite, non pas qu'une metaphore ne puisse pas etre remplacee ou plutot representee ou corrigee par une autre metaphore, plus precise. Par consequent, les metaphores absolues ont elles aussi une histoire. Elles ont de l'histoire dans un sens encore plus radical que les concepts, parce que la mutation historique d'une metaphore fait apparaitre la metacinetique des horizons de sens et des manieres de voir historiquement determinees a l'interieur desquels les concepts connaissent des modifications. Par ce rapport d'implication, la relation de la metaphorologie a l'histoire des concepts se definit comme une relation d'auxiliarite: la metaphorologie cherche a atteindre le soubassement de la pensee, le bouillon de culture des cristal-lisations systematiques, mais elle entend egalement faire prendre conscience avec quelle audace l'esprit s'anticipe lui-meme dans ses images et comment dans l'audace de la conjecture s'ebauche son histoire .
L'histoire des débuts de la théorie n'étant pas relatée, il n'existe qu'une histoire qui témoigne de ces débuts : Thalès, alors qu'il observait les étoiles, tomba un jour dans un puits et dut subir les railleries d'une servante de Thrace accourue pour le secourir. Blumenberg retrace la réception de cette anecdote depuis les fables d'Ésope jusqu'à Heidegger.
English summary: Blumenberg explores the ways we have domesticated the lion through our language, following the paths of literature and idiosyncratic expressions, from the Bible and Euripides to La Fontaine. French description: Une faim de lion, tourner en rond comme un lion en cage, avoir mange du lion, se tailler la part du lion, se battre comme un lion et pourquoi on ne peut greffer un coeur de lion sur un lapin? Nous avons domestique l'animal, non seulement dans l'appetit ou les zoos mais aussi dans la langue avec des expressions plus ou moins heureuses. Non pas une anthologie ou une encyclopedie, mais plutot une curiosite et des pensees pistees a la trace de ses lectures: voici ce que reunit Blumenberg 5 ans avant sa mort. Un monde sans lion serait un monde desole: si les lions savaient peindre, leurs chasseurs seraient les proies . Avec la Bible, Euripide, Fontane, Ibsen, Schiller ou encore La Fontaine, tout un art de l'interpretation dont l'oeuvre de Blumenberg temoigne.
Philosophe étonnant, déroutant, anti-systématique, Hans Blumenberg est l'auteur d'une oeuvre immense. Cet ouvrage en restitue l'une des principales lignes directrices : la "métaphorologie", où l'image se montre comme la racine de toute pensée conceptuelle. L'étude porte ici sur le "naufrage" comme métaphore de l'existence humaine, de ses périls, de ses limites. Naufrage qui ne prend son sens qu'au regard d'un spectateur, fasciné ou contemplatif, distancié ou impliqué, dans le spectacle de la faillite des aventures humaines, du désordre de l'Histoire. Une image très simple que celle du naufrage. Blumenberg, à sa manière inimitable, en déploie toute la richesse, convoquant ceux qui l'ont travaillée, déplacée, retournée. De Lucrèce à Nietzsche, en passant par Voltaire, Goethe et d'autres, il nous invite à une véritable traversée du sens.