Emmanuel Carrère explore dans son œuvre foisonnante les thèmes centraux de l'interrogation de l'identité, du développement de l'illusion et de la direction de la réalité. Son style littéraire, qui brouille avec fluidité les frontières entre fiction et non-fiction, plonge le lecteur dans de profondes réflexions sur la condition humaine. Carrère entrelace avec maestria expériences personnelles et thèmes universels, créant ainsi des récits à la fois intimes et stimulants. Son approche singulière de l'écriture en fait une voix marquante de la littérature française contemporaine.
En septembre 2021, Emmanuel Carrère couvre le procès V13 à Paris, suite aux attentats du 13 novembre 2015. À travers ses chroniques, il explore le traumatisme national, les perspectives des victimes et des coupables, et interroge les racines du terrorisme. Un récit poignant sur la quête de guérison d'une société bouleversée.
« Limonov n’est pas un personnage de fiction. Il existe. Je le connais. Il a été voyou en Ukraine ; idole de l’underground soviétique sous Brejnev ; clochard, puis valet de chambre d’un milliardaire à Manhattan ; écrivain branché à Paris ; soldat perdu dans les guerres des Balkans ; et maintenant, dans l’immense bordel de l’après-communisme en Russie, vieux chef charismatique d’un parti de jeunes desperados. Lui-même se voit comme un héros, on peut le considérer comme un salaud : je suspends pour ma part mon jugement. C’est une vie dangereuse, ambiguë : un vrai roman d’aventures. C’est aussi, je crois, une vie qui raconte quelque chose. Pas seulement sur lui, Limonov, pas seulement sur la Russie, mais sur notre histoire à tous depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale ».
Dès le début de cette histoire, une menace plane sur son petit héros : nous le sentons, nous le savons, tout comme lui le sait, l’a toujours su. Pourtant, quoi de plus ordinaire qu’une classe de neige? Mais celle-ci, à partir d’un incident apparemment mineur (son père qui l'a amené en voiture repart en emportant les affaires de l'enfant) va tourner au cauchemar. Et si nous ignorons d’où va surgir le danger, quelle forme il va prendre, qui va en être l’instrument, nous savons que quelque chose est en marche, qui ne s’arrêtera pas. Ce roman impitoyablement écrit raconte l’un des pires malheur qui puisse arriver à un enfant, un malheur, né autant de son imagination que du monde qui l'entoure, et contre lequel il sera totalement démuni car il touche le cœur de ce qui fait sa faiblesse, sa vulnérabilité et le prive de toute issue, de tout recours.
« A un moment de ma vie, j'ai été chrétien. Cela a duré trois ans. C'est passé. Affaire classée, alors ? Il faut qu'elle ne le soit pas tout à fait pour que, vingt ans plus tard, j'aie éprouvé le besoin d'y revenir. Ces chemins du Nouveau Testament que j'ai autrefois parcourus en croyant, je les parcours aujourd'hui - en romancier ? en historien ? Disons en enquêteur. » (4e de couv.)
A quelques mois d'intervalle, la vie m'a rendu témoin des deux événements qui me font le plus peur au monde : la mort d'un enfant pour ses parents, celle d'une jeune femme pour ses enfants et son mari. Quelqu'un m'a dit alors : tu es écrivain, pourquoi n'écris-tu pas notre histoire ? C'était une commande, je l'ai acceptée. C'est ainsi que je me suis retrouvé à raconter l'amitié entre un homme et une femme, tous deux rescapés d'un cancer, tous deux boiteux et tous deux juges, qui s'occupaient d'affaires de surendettement au tribunal d'instance de Vienne (Isère). Il est question dans ce livre de vie et de mort, de maladie, d'extrême pauvreté, de justice et surtout d'amour. Tout y est vrai.
Le matin du 9 janvier 1993, le docteur Jean-Claude Romand assassinait sa femme et leurs deux enfants. Il se rendait ensuite chez ses parents qu'il tuait également ... Cette affaire devait aboutir, en 1996, à sa condamnation à la réclusion à perpétuité assortie d'une peine de sûreté de 22 ans. Emmanuel Carrère reconstitue cette histoire qui semble l'avoir hanté sa vie tout entière
C'est l'histoire d'un livre sur le yoga et la dépression. La méditation et le terrorisme. L'aspiration à l'unité et le trouble bipolaire. Des choses qui n'ont pas l'air d'aller ensemble, et pourtant : elles vont ensemble.
Frédérique est professeur de collège. Elle vit avec son fils Quentin, séparée de son mari Jean-Pierre, qu'elle voit souvent, avec qui elle passe parfois des vacances. Ainsi les quelques jours de la Toussaint, à Trouville. Si on allait finir la soirée au casino ? La roulette ? Un jeu simple. Frédérique a trente-six ans. Elle joue pour la première fois le 36, perd, rejoue, gagne. Et rentre à Paris. Elle étudie, comme on prépare un concours, les différentes catégories de mises : plein, transversale, cheval, sizain... Et repart jouer. Par Passion ? Allons donc. Ces vertiges lui vont mal. Son lot, c'est l'envie de les éprouver. Un jour pourtant, sans rien décider, elle abandonne à la roulette la conduite de sa vie et se met au pied du mur, en espérant, après l'avoir sauté, être enfin délivrée, hors d'atteinte...
Ayant vidé la poubelle sur le trottoir, il trouva vite le sac qu'on plaçait dans la salle de bains, en retira des cotons-tiges, un vieux tube de dentifrice, un autre de tonique pour la peau, des lames de rasoir usagées. Et les poils étaient là. Pas tout à fait comme il l'avait espéré : nombreux, mais dispersés, alors qu'il imaginait une touffe bien compacte, quelque chose comme une moustache tenant toute seule. Il en ramassa le plus possible, qu'il recueillit dans le creux de sa main, puis remonta. Il entra sans bruit dans la chambre, la main tendue en coupelle devant lui et, s'asseyant sur le lit à côté d'Agnès apparemment endormie, alluma la lampe de chevet. Elle gémit doucement puis, comme il lui secouait l'épaule, cligna des yeux, grimaça en voyant la main ouverte devant son visage. "Et ça, dit-il rudement, qu'est-ce que c'est ?"
La folie et l'horreur ont obsédé ma vie. Les livres que j'ai écrits ne parlent de rien d'autre. Après L'Adversaire, je n'en pouvais plus. J'ai voulu y échapper. J'ai cru y échapper en aimant une femme et en menant une enquête. L'enquête portait sur mon grand-père maternel, qui après une vie tragique a disparu à l'automne 1944 et, très probablement, été exécuté pour faits de collaboration. C'est le secret de ma mère, le fantôme qui hante notre famille. Pour exorciser ce fantôme, j'ai suivi des chemins hasardeux. Ils m'ont entraîné jusqu'à une petite ville perdue de la province russe où je suis resté longtemps, aux aguets, à attendre qu'il arrive quelque chose. Et quelque chose est arrivé : un crime atroce. La folie et l'horreur me rattrapaient. Elles m'ont rattrapé, en même temps, dans ma vie amoureuse. J'ai écrit pour la femme que j'aimais une histoire érotique qui devait faire effraction dans le réel, et le réel a déjoué mes plans. Il nous a précipités dans un cauchemar qui ressemblait aux pires de mes livres et qui a dévasté nos vies et notre amour. C'est de cela qu'il est question ici : des scénarios que nous élaborons pour maîtriser le réel et de la façon terrible dont le réel s'y prend pour nous répondre.